Biographie & Textes choisis
Renato Salvi est né en 1956. Diplômé de l'École Polytechnique Fédérale de Zurich en 1981, il part ensuite à Rome pour suivre les cours de restauration en monuments historiques à la Sapienza. Durant ces années il travaille en parallèle dans l'atelier de F. Ruchat et devient, en 1985, son assistant à l'ETH de Zurich.
Suite au premier prix qu'il remporte, avec F. Ruchat, au concours de l'autoroute La Transjurane, la Communauté de Travail la Transjurane est fondée et sera en charge de l'élaboration du dessin des ouvrages d'art de 1988 à 1998. Cette même année il ouvre le bureau Salvi Architecture à Delémont afin de poursuivre cette activité et commencer la production d'une série de bâtiments qui seront publiés et primés à de nombreuses reprises (Premier prix d'architecture suisse pour l'A16 – en collaboration avec Flora Ruchat), Nominations à la Distinction Romande d'Architecture 2006, Prix Best Architects 07 2007, Nomination au World Architecture Festival 2008.
Suite à l'enseignement qu'il dispense auprès du professeur Vincent Mangeat de 1997 à 1999 à l'École Polytechnique de Lausanne, il est nommé professeur invité à la chaire Cluster de l'Université de Barcelone de 1999 à 2000.
Il est membre de la Fédération des architectes suisses (FAS) dès 2000 ainsi que de différentes commissions d'urbanisme et participe à de nombreux jurys de concours en Suisse.
Chargé de cours au Poly de Lausanne avec Professeur A.Muttoni depuis 2003.
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Architecture
Jean Nouvel
Le futur ne m'intéresse pas, car l'architecte est d'abord un homme du réel. Il a fait le choix de construire pendant le temps compté qui est le sien.
Il s'agit de s'interroger sur la discontinuité du savoir. On ne peut plus considérer l'architecture comme une discipline autonome qui fonctionnerait sur des matériaux, des techniques, des typologies…
Au contraire il faut être attentif aux connexions, aux transversalités, aux diagnostiques, ne pas tendre vers une posture autocentrée. Je pense que l'architecture doit faire passer des sensations liées au plaisir… Exprimer les valeurs d'une époque, d'une société.
Hans Scharoun
- …Während die Rückseite des Hauses relativ streng und schützend ist scheint sich die Vorderseite fast in den Garten aufzulösen… wo die kurze Seitenwand des Essraumes im Garten endet, hört sie nicht abrupt in einer klaren Ecke auf, sondern eher wie eine halbzerfallene Wand, wo einige Ziegel weiter herausragen als andere.
Corajoud
- … c'est une autre dimension du paysage qui m'intéresse, celle de l'antériorité des sites sur lesquels on nous demande de projeter. Tous les espaces que l'on veut modifier, aussi déficients soient-ils ont déjà fait l'objet de nombreuses affectations, de plusieurs aménagements dont ils gardent certains témoignages. L'histoire toujours très longue qui leur a donné leur statut actuel m'interdit de penser qu'ils sont tout à fait disponibles.
Lewerentz (Eglise de Klippan)
Souvenirs de voyages
- Demain je rentre. Il me semble être parti il y a très longtemps.
Vendredi dans l'église de Lewerentz à Klippan il y avait une goutte d'eau qui tombait d'un coquillage dans une fente au sol dans une pénombre dense et un silence total. C'est peut-être le symbole de ce voyage. Cette église éloignée de tout est issue de la seule volonté et pensée de Lewerentz. Il a cherché à y introduire un moment de poésie qui va au-delà de la religion. J'ai été fasciné par cette goutte précieuse, inattendue, insolite, unique, qui emplissait à elle seule tout l'espace de l'église. Elle était petite mais si puissante. Faut-il venir jusqu'ici pour redécouvrir des gestes enfouis dans sa mémoire pour se recontacter en profondeur ? Une sorte de pèlerinage ?
J'aimerais bien être capable d'autant d'intensité dans mes propres réalisations… Parfois il me semble que oui, parfois le but me semble bien loin à atteindre.
Mai 2004
Sylvaine Dampierre : Un enclos (prix du patrimoine au Festival Cinéma du réel ; 1999)
Sylvaine Dampierre s'intéresse aux jardins sociaux. Le jardin comme lieu et lien social. Après L'Ile en 1998 sur un jardin ouvrier au cœur d'une friche industrielle, elle a réalisé un enclos, un jardin dans la prison de Rennes.
C'est un fouillis végétal, un vrai jardin de curé avec des cerisiers, des pruniers, des rosiers, des oiseaux, des herbes folles. Les détenues peuvent s'y rendre sous la responsabilité de l'aumônier. Il en a fait un espace de paroles libres. Le jardin est ouvert même à celles qui n'ont pas envie d'y travailler. On peut semer, sarcler, couper, on peut s'isoler, on peut parler se confier, rire…
Il n'était pas question d'effacer la prison, de la nier ou de l'enjoliver mais de la représenter au contraire. Ce jardin est beaucoup plus qu'un passe-temps c'est un espace pour briser la monotonie, se réapproprier soi où l'angoisse se relâche un peu, où l'on retrouve un peu de son identité que l'ensemble de système carcéral s'acharne à vous faire perdre. On y apprendra aussi à attendre… « j'ai coupé comme vous me l'avez dit la patience, et elle a fait des fleurs… ».
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Un homme obscur
Marguerite Yourcenar
Que dire de Marguerite Yourcenar?
Qu'elle m'habite en profondeur!
Que mon plaisir et ma joie se retrouvent à chaque fois avec un étonnement permanent dans la lecture ou la relecture de ses écrits.
De longues heures partagées depuis de si nombreuses années me la rendent aujourd'hui en quelque sorte proche, intime, amie… il m'arrive souvent d'ouvrir au hasard un de ses écrits pour y puiser une phrase, une réponse, un conseil parfois, le début d'une réflexion aussi… ou simplement la beauté d'une description.
En voici quelques unes glanées au fil du temps qui m'ont particulièrement touché…
A 20 ans disait-elle de Zénon, il s'était libéré des routines ou des préjugés qui paralysent nos actes et mettent à l'entendement des œillères, mais sa vie s'était passée ensuite à acquérir sous par sous cette liberté dont il avait cru d'emblée posséder la somme.
Un programme de vie? Une invitation à une lutte avec soi-même au quotidien? Que de fois ne me suis-je dit que je n'avais pas vu, pas su, pas pu, que je m'étais trompé, que je n'avais pas compris, saisi ou réussi. Parfois j'ai cru en mes possibilités pour redécouvrir longtemps après toute la relativité de mes actes, de mes décisions à la recherche de la "somme".
Etre en chemin, c'est à cela que je reconnais les gens que j'aime.
Je crois qu'il faut presque toujours un coup de folie pour bâtir un destin.
J'aime cette phrase qui s'oppose à la raison et à ses purs échafaudages cartésiens pour faire place à l'imprévu, au danger, à l'impétuosité, à l'émotivité inscrites et enfuies au plus profond de soi. Qu'il est difficile d'aller puiser à ses sources et d'y croire.
Les foules venues des provinces défilant en groupes organisés dans l'immense Ermitage regardant vaguement les œuvres d'art de siècles et de pays situés si loin d'elle, et ce paysan qui debout, devant un christ de Rembrandt avait l'air de prier.
Il y a très longtemps je me souviens de ma stupeur en découvrant le musée d'art à la Chaux-de-Fonds. C'était en hiver, il faisait très froid; je m'y étais réfugié pour me réchauffer. Je suis sorti bouleversé, mon destin changé. Encore aujourd'hui je m'efforce de prier.
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Transformation du Lycée de Porrentruy
Il est des lieux d'exception, touchés par la grâce, marqués par l'histoire et le mystère qui nécessitent un décryptage et une attention toute particulière aux époques qui l'ont constitué, sédimenté.
Le Séminaire l'est à plusieurs titres, de part son emplacement dans la ville de Porrentruy, de par le complexe qu'il forme avec l'Eglise des Jésuites et de par ses étapes de construction constitutives.
Comment s'approprier ce passé, se glisser dans ses murs sans le bousculer tout en y prenant sa place ? Comment conserver cette atmosphère si particulière de lieux d'étude ? Jadis un séminaire, ensuite une école primaire, aujourd'hui un lycée. Les longs couloirs blancs rythmés par l'ouverture des fenêtres et du soleil et de ses grandes portes en bois sont déjà en soi les prémices d'une première évocation. Lieu ascétique à souhait, on pourrait encore imaginer aujourd'hui voir un moine les emprunter, les longer.
La lumière y joue donc un rôle essentiel. Les fenêtres des salles de classes sont redessinées sans traverses horizontales, augmentant ainsi le flux lumineux. A contrario, celles de la salle de la Chapelle sont reconstituées avec leur trame serrée de croisillons afin de conserver une certaine pénombre, souvenir d'une lecture fascinante «L'Eloge de l'Ombre » de Tanazaki.
L'ensemble des crépis, doux et lisses, sont faits pour être touchés. Les portes des salles de classes, plaquées en noyer, luisent dans les couloirs et glissent sous les doigts. Des anciens parquets huilés reconstitués émane une odeur de bois, évoquant d'autres lieux, d'autres temps, et le sol de la Chapelle au dessin précieux surprend par ses craquements. Essentiellement une architecture du touché, de l'odorat, de l'ouïe, une architecture des sens où la conscience de l'histoire implique, en se servant de tout ce qui repéré, d'aller dans l'inconnu pour l'explorer.
La seule nostalgie que je pourrais avoir est celle du futur... J'aime cette phrase de Jean Nouvel qui associe passé et audace.
Comme toute obligation de création il y a une obligation de rupture liée à l'évolution de notre culture devenant une attitude-témoin.
Si mon souci principal a été de me servir des ressources du lieu, du moment, j'ai cherché aussi à privilégier l'immatériel : révéler, orienter, c'est prolonger l'histoire vécue et les traces des vies précédentes. Le brouhaha du restaurant scolaire et de sa cafétéria, évoque la dimension du plaisir, celle du partage d'un repas, d'une rencontre, d'un échange.
Le métier d'architecte, auquel on veut appliquer de nos jours un modèle managérial, plus adapté à une entreprise, souffre d'une certaine banalisation. Il est temps d'inventer de nouveaux chemins intelligents pour des temps difficiles. Face aux incertitudes, la seule issue possible est la poésie dira le philosophe Edgar Morin. Seule la poésie sait fabriquer l'instantané, quelque chose de vivant.
C'est la voie que j'ai choisie de tout temps dans ma profession.
Sion, le 20 août 2013
Renato Salvi
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